Les luttes trans

avec Anna Balsamo, Emmanuel Beaubatie et SMITH

rencontre
#idées

« La transphobie est omniprésente : du regard réprobateur des voisin·es et des inconnu·es dans la rue au mégenrage et au deadnaming dans le cercle familial, à l’école ou au travail, dans les commerces et les établissements publics, en passant par les menaces et agressions physiques et sexuelles. »  Tel est le constat alarmant dressé par SOS Homophobie dans son dernier Rapport annuel sur les LGBTIphobies1.


L’association précise dans ce même rapport que les actes transphobes qui lui ont été signalés ont doublé en un an, passant de 227 témoignages en 2022 à 500 en 2023. Un chiffre que SOS Homophobie estime indicatif, arguant qu’il est très possible que beaucoup de victimes d’actes transphobes n’osent toujours pas témoigner.


Mais comment expliquer cette augmentation en flèche des actes transphobes ces dernières années ?

Selon Karine Espineira, sociologue des médias, la « question trans » apparaît au cœur des discours réactionnaires en France à partir de 2011, avec notamment la polémique sur les manuels de sciences de la vie et de la Terre, dans lesquels ont veut introduire la notion de genre2.


Les nombreuses polémiques passionnées qui se sont succédées depuis – et dont les idées réactionnaires ont infusé dans les partis politiques de droite et d’extrême droite, révèlent un manque de connaissances fines de l’histoire des luttes trans et une ignorance des enjeux des personnes concernées dans leurs parcours de transidentité. Ces discours conservateurs et rétrogrades ont grandement contribué à libérer une parole transphobe décomplexée.


Les mouvements féministes eux-mêmes sont profondément divisés sur la place à donner aux personnes transgenres. Si les positions essentialistes des féministes antitrans – qui considèrent qu’une femme ne peut être définie que par son sexe biologique, ne sont pas nouveaux – la plupart de leurs arguments ayant déjà été formulés par Janice Raymond en 1979 dans L’Empire transsexuel (Le Partage, rééd. 2022), celles-ci n’hésitent pas à alimenter les polémiques avec des positions parfois très proches des catholiques fondamentalistes, qui elles-mêmes imprègnent la pensée d’extrême droite. Un des exemples les plus parlants reste peut-être la tribune, publiée dans le journal Marianne en 2020 : « Trans : suffit-il de s’autoproclamer femme pour pouvoir exiger d’être considéré comme telle ? »3 Au fond, on en revient toujours à l’idée que les droits trans vont invisibiliser les droits des femmes4.


Selon Maud Royer, présidente de l’association féministe Toutes des femmes, « on assiste à la reconfiguration de secteurs historiques de la droite réactionnaire qui sont aussi les secteurs catholiques, notamment ceux des anti-choix, opposés à l’IVG. N’ayant plus l’accroche homophobe du mariage pour tous, ils se rabattent sur les personnes trans. Mais ce sont les mêmes réseaux.5 » 


Toutes ces polémiques ont servi de base aux politiques transphobes qui tentent d’émerger aujourd’hui.


En 2024, la proposition de loi déposée au Sénat par les élus du parti Les Républicains (LR) est un des exemples les plus parlants de cette bataille sur le plan législatif6. Ce texte prévoit l’interdiction des traitements hormonaux avant 18 ans et le contrôle strict des prescriptions de « bloqueurs de puberté » mais aussi de renforcer le contrôle psychiatrique sur les enfants trans – alors même que la France a dépsychiatrisé les transidentité en 2010 et l’OMS en 2019, et de punir, par des peines de prison allant jusqu’à deux ans, les médecins qui accompagnent les jeunes trans.


Ce projet de loi, qui vient d’être adopté par le Sénat le 29 mai dernier7, coïncide avec la sortie de Transmania, un essai transphobe promu par l’ensemble de l’extrême droite. Cet ouvrage de Dora Moutot et Marguerite Stern ne cesse, depuis sa parution le 11 avril 2024, de faire polémique. Leurs discours dans les médias conservateurs (Europe 1, RMC, Le Figaro, Valeurs Actuelles, Cnews, C8) attise une haine décomplexée, amenant à une déferlante de discours transphobe sur les réseaux sociaux. C’est d’ailleurs sur internet qu’on lieu un quart des cas de transphobie selon SOS Homophobie.


Face à cette offensive, la lutte s’organise. Plus de 10 000 personnes ont ainsi manifesté le 5 mai dernier pour dénoncer les violences transphobes, à l’appel d’une tribune de 800 collectifs et personnalités publiée par le journal Politis.


Cette rencontre aux Métallos sera l'occasion d’une mobilisation engagée pour construire et poursuivre les nombreuses luttes en cours. Au micro de Zoé Sfez, nous recevrons le sociologue Emmanuel Beaubatie, l’artiste SMITH et la journaliste Anna Balsamo, co-fondatrice de XY Media, premier média transféministe audiovisuel en France.


Bibliographie

  • Emmanuel Beaubatie, Ne suis-je pas un·e féministe ?, Éditions du Seuil (2024)
  • Emmanuel Beaubatie, Transfuges de sexe. Passer les frontières du genre, La Découverte (2021)
  • SMITH, Désidération (prologue), éditions Textuel, Préface de Lucien Raphmaj (2021)
  • SMITH, Desiderea Nuncia, éditions Palais Books, textes de Lucien Raphmaj, Prix du livre Photo Texte aux Rencontres d’Arles (2021)
  • SMITH, Löyly, éditions Filigranes, monographie (photographie, vidéo, cinéma, installation). Préface de Dominique Baqué (2014)
  • Anna Balsamo, « Polémique : Les gynécologues doivent-ils traiter les femmes trans ? | En Bref », XY Média, 2023
  • Anna Balsamo, « Les violences transmisogynes », XY Média, 2021





[1] Rapport sur les LGBTIphobies 2024 (SOS Homophobie)

[2] Les Inrocks, « Transidentité : la nouvelle obsession de l’extrême droite », 24/05/2024

[3] Marianne, « Trans : suffit-il de s’autoproclamer femme pour pouvoir exiger d’être considéré comme telle ? », 17/02/202

[4] Médiapart, « Comment les luttes trans bousculent les mouvements féministes », 17/11/2022

[5] Les Inrocks, « Transidentité : la nouvelle obsession de l’extrême droite », 24/05/2024

[6] Assemblée Nationale, Proposition de loi – Prise en charge des mineurs en questionnement de genre, 28/05/2024

[7] Le Monde, « Le Sénat adopte une proposition de loi controversée interdisant les transitions de genre chez les mineurs », 29/05/2024

  • distribution

    intervenant·es

    Anna Balsamo, militante et journaliste

    Emmanuel Beaubatie, sociologue, chargé de recherche au CNRS et enseignant

    SMITH, artiste-chercheur


    modération

    Zoé Sfez, journaliste


    programmation

    Olivier Martinaud, comédien

  • dates / horaires

    mar. 10 déc. 2024 à 19h

  • infos pratiques

    durée 1h30

    tout public, à partir de 12 ans

    tarif 5, 9 ou 12€ (au choix, sans condition)

    réservation conseillée