On se décale

Clins d’œil, correspondances et autres digressions autour de la CoOP de juin 2019.

Il était une fois une chanson enregistrée en 1959 par le chanteur de Blues Bobby Bland, titrée « I’ll Take Care of You »

, magnifiquement reprise en 2011(l’année de son décès) par le poète et musicien Gil Scott Heron (https://www.youtube.com/watch?v=WSoqyoqWSBI).

Cette même année 2011, elle est revisitée par le producteur anglais Jamie XX pour un duo Drake/Rihanna sous le titre « Take Care » (https://www.youtube.com/watch?v=-zzP29emgpg).

 

La promesse « I’ll take care of you » ( je prendrai soin de toi) s’est changée en « Take care» (prend soin de toi!), formule couramment employée aujourd’hui en guise
d’au revoir, ou à la fin d’un courrier. Affectueuse certes, mais moins engageante. Un signe de notre époque où l’on serait, chacun, invité à prendre soin de nous-même? Avec Julie Nioche et ses complices, on vous propose plutôt, ensemble, de prendre soin de nous, de vous, de tout.Mais pour prendre soin,il faut s’intéresser, connaître un peu, comprendre comment ça marche, imaginer des chemins, inventer et partager des gestes, des rituels...

Commençons par écouter la lumineuse philosophe Fabienne Brugère nous parler de l’Ethique du Care en tant que vision du monde et moteur pour construire un monde plus humain

 

Les pratiques somatiques comme pratiques politiques du corps

Ce mois-ci aux métallos, on va beaucoup entendre parler de pratiques somatiques. Vous ne connaissez pas? Il s’agit d’un ensemble de pratiques corporelles dites
« douces » ou « alternatives » qui sont apparues au tournant du 19ème et 20ème siècle et qui continue à se développer jusqu’à aujourd’hui. Ces pratiques ont en commun de ne pas s’intéresser à l’exercice physique, à la performance ou à l’effort, mais plutôt au vécu intérieur, à l’expérience de chaque personne dans les activités courantes. Elles visent à augmenter l’aisance, l’efficacité et le plaisir du corps et du mouvement par le développement de la conscience corporelle. Les pratiques somatiques, intrinsèquement critiques envers la reproduction des esthétiques et des schémas formels établis, proposent ainsi des méthodes et des objectifs pédagogiques profondément différents. C’est en ce sens qu’elles sont politiques.

 

Il est intéressant de noter que les pionniers de ces méthodes sont des personnes ayant subi un accident et qui ont cherché de nouveaux chemins pour retrouver l’usage de leur corps, leur liberté de mouvement ou leur voix. Et toutes, d’une manière ou d’une autre, ont nourri leur enseignement de l’observation des tous jeunes enfants.

 

Vécu, expérience, observation, attention... ces techniques sont des partages d’expérience réussie :
Cette courte présentation de la technique Alexander résume bien le constat de nos dysfonctionnements et la manière élaborée pour s’en libérer. (https://www.youtube.com/watch?v=7IoTuB42G2c).

Pour découvrir une autre de ces pratiques, engagez-vous maintenant dans cette leçon de Feldenkrais, une méthode plébiscitée notamment par les danseurs.

Pour en savoir plus sur les pratiques somatiques(c’est passionnant,
à explorer sans modération!):
Pour un atlas des figures, plateforme collaborative pour la recherche et la création en art

http://www.pourunatlasdesfigures.net/element/pratiques-somatiques Laurence Jay, Pratiques somatiques et écologie corporelle

(in Sociétés n°125, 2014/3)

https://www.cairn.info/revue-societes-2014-3-page-103.htm

 

L’ideokinesis ou quand la pensée met le corps en mouvement

Parmi la multitude des pratiques somatiques, l’idéokinesis se reconnaît par un trait distinctif : l’emploi de l’imaginaire anatomique dans la visualisation et l’imagination du mouvement.

A l’origine de ce courant, les travaux précurseurs de Mabel Todd (1880-1956) qui résumait ainsi sa démarche « D’abord tu le penses, puis tu le vois, ensuite tu l’oublies, et enfin ça arrive ». Dans le dessin ci-dessous tiré de son livre « Le Corps pensant » (The Thinking Body, 1937), l’analogie visuelle pont/bassin illustre comment, mécaniquement, le poids du corps se répartit sur les deux jambes qui le distribuent au sol.

Une des élèves de Mabel Todd, Barbara Clark développe plus encore l’usage du dessin dans son enseignement :
« L’image d’une ligne centrale est utile à transmettre le principe d’un équilibre régulier dans le corps humain. Remarque dans l’illustration comment une quille s’équilibre de manière uniforme autour de sa ligne centrale. En étant assis, le noyau de ton corps est la partie qui correspond à la ligne centrale d’une quille.

Commençons par utiliser cette image. Assieds-toi sur une chaise qui te permet de poser le centre des pieds au sol directement au-dessous des genoux. Détends-toi et commence à penser à une ligne centrale qui passe par le milieu du corps, du centre de la tête à l’extrémité inférieure de la colonne. Pour la prochaine étape, visualise une ligne centrale qui passe par le milieu d’une quille. Imagine que tu es comme une quille, qui n’a pas le poids des épaules. Libère-toi en imaginant que tu n’as pas le poids de l’épaule gauche, et que tu n’as pas le poids de l’épaule droite. Au départ, cela peut sembler difficile à accomplir. Essaie-le quelques minutes dans les moments où tu en as la possibilité. Certains remarquent qu’il y a un soulagement immédiat de l’effort. D’autres ont besoin de plus de temps pour réaliser qu’ils peuvent se reposer plus facilement sur leurs ischions s’ils permettent à leurs épaules de se détendre(...)».

 

Idéokinesis pour en savoir plus : site en anglais 

 

Pour une géographie du sensible

Restons dans le champ du dessin et dans celui de l’expérience avec ce « Parcours d’atelier » de l’artiste Sud-Africain William Kentridge.

Dans son œuvre « Soffio 6 »(Souffle 6, 1978) que l’on peut voir dans les collections du MNAM au Centre Pompidou, l’artiste italien Giuseppe Penone cherche à rendre solide, palpable, ce qui est immatériel comme le souffle. Une trace réelle, l’empreinte de son corps et de sa bouche qui embrassent la terre, et une trace imaginaire, celle de sa respiration qui donne à la pièce sa forme d’amphore.

 

Le rituel comme moyen de rencontre

Depuis toujours, l’artiste Dominique Gonzalez Foerster(née en 1965, lauréate du prix Marcel Duchamp en 2002) manifeste un réel intérêt pour l’exposition. Voici ce qu’elle en dit dans l’émission « Masterclasses » de France Culture en juillet dernier : « J’ai un gros doute sur le fétiche, sur la chose objet d’art que l’on va garder, archiver, conserver, et je lui préfère de loin l’expérience, c’est pour cela que l’exposition comme médium a sa force car elle transforme l’œuvre en expérience ».

Anthony Gormley commence à utiliser son propre corps dans son travail en 1980, à la fois comme outil et comme matériau. « Pour moi, la sculpture utilise des moyens physiques pour parler de l’esprit, le poids pour parler d’apesanteur, la lumière pour renvoyer à l’obscurité – des moyens visuels pour évoquer des choses que l’on ne peut pas voir.»

Dans cette courte conférence TED, il expose son rapport à l’espace et au temps.

 

Andy Goldsworthy travaille toujours dans et avec la nature. Il compare souvent le caractère répétitif du travail paysan à la routine de la sculpture : « Une bonne partie de mon travail ressemble à la cueillette des patates ; il faut rentrer dans son rythme ». Ses œuvres, souvent éphémères, enchantent le paysage.

Nous finirons cette promenade avec le poème de Paul Eluard « Yeux fertiles », titre choisi par Julie Nioche pour sa prochaine création :

 

On ne peut me connaître
Mieux que tu me connais
Tes yeux dans lesquels nous dormons Tous les deux
Ont fait à mes lumières d’homme
Un sort meilleur qu’aux nuits du monde Tes yeux dans lesquels je voyage
Ont donné aux gestes des routes
Un sens détaché de la terre
Dans tes yeux ceux qui nous révèlent Notre solitude infinie
Ne sont plus ce qu’ils croyaient être
On ne peut te connaître
Mieux que je te connais.

A bientôt et Take Care!