On se décale

Clins d’oeil, correspondances et autres digressions proposés par la Maison des métallos autour de la CoOP de septembre 2019.

A la rentrée, on a envie de retrouver la ville avec un regard tout neuf, de se replonger dans ses ordinateurs, ses livres et cahiers avec une curiosité rajeunie par les distractions et les découvertes de l’été. Malte Martin et sa complice Lucile Bataille nous y invitent, littéralement. En suivant leur parcours et la façon ouverte dont ils envisagent aujourd’hui leur métier de designer graphique, nous vous invitons notamment à (re)découvrir ou (re)considérer les mots et la typographie pour ce qu’ils sont, de formidables outils pour bâtir et comprendre le monde.

 

Parler, écrire, c’est un peu comme marcher ou respirer, on le fait tous les jours sans trop y penser. Et pourtant, si on y pense un peu, les mots c’est magique non ?

 

Autant que la pierre, le béton, le verre et le bois, ils construisent notre monde. C’est ce que semble penser le chercheur sociologue Christian Topalov, initiateur d’un monumental et magnifique dictionnaire urbain joliment titré « L’aventure des mots de la ville à travers le temps, les langues, les sociétés » (pas moins de 264 articles, 160 auteurs et 7 langues traitées). « N'attendez pas ici une étude des jargons de spécialistes. Ce qui nous intéresse, c'est la façon dont sont effectivement utilisés les mots de tous les jours. Ceux qui permettent aux gens – de Rio ou du Caire, de Londres ou de Naples, de Paris ou de Marseille – de parler dans leur ville et de leur ville – pour la dire, mais aussi pour la changer ». Voilà qui nous intéresse ! Ecoutons le raconter cette passionnante entreprise :

https://www.metropolitiques.eu/L-aventure-des-mots-de-la-ville.html

 

Avec Grand corps malade, l’outil-mot se déclame énergiquement et joyeusement : «J’ai mis des mots », ici en live à la Fête de la Chanson Française en 2013 :

 

Et avec Christophe, ici interprété par Alain Bashung, les mots se chantent en bleu…

 

Mais pour exister, pour agir en mode visuel (imprimé ou numérique), le mot a besoin d’un autre outil, trop souvent méconnu, la typographie. On notera au passage que les mots utilisés pour décrire les caractères typographiques ne manquent ni de saveur ni de poésie (pente, chasse, graisse, extra-maigre, trois-quart gras…) et que le sujet est bien plus vaste que prévu. Saviez-vous que la collection Histoire de l'écriture typographique de Jacques André et Yves Perrousseaux compte 7 volumes ?! Nous nous contenterons de vous parler ici de quelques spécimens rencontrés dans notre exploration de l’univers des polices de caractères. Ce n’est sans doute pas un hasard si celles que nous avons choisies sont le fruit de collaborations entre des graphistes-typographes et des spécialistes d’autres domaines :

 

Une typo-outil pour aider les étudiants à mieux mémoriser leurs notes de cours :

Un typographe enseignant dans le département design du RMIT s’est associé à une équipe de chercheurs en sciences du comportement de cette grande université australienne pour concevoir une police de caractère au nom évocateur, Sans forgetica, qui joue d’une difficulté de lecture calculée pour stimuler l’attention du lecteur. Profitez-en, elle est téléchargeable gratuitement (et commentée en anglais par ses auteurs) sur le site de RMIT : http://sansforgetica.rmit/?ref=outilstice.com

 

Quand le paysage devient typo :

      

Aerial Bold Project est une plateforme imaginée et conçue au cœur d’un laboratoire de MIT par un designer (Benedikt Gross) et un géographe (Joey Lee), qui ont récolté des lettres dans les images satellites du monde entier de Google Earth et Maps.  Bâtiments, piscines, parkings, routes… pour chaque lettre que vous écrivez avec Aerial Bold Satellite, le site propose plusieurs possibilités. Des heures de jeu en perspective !

http://type.aerial-bold.com/tw/

 

Aerial Bold Fonts : à partir de cette vaste base de données, trois polices de caractères ont été conçues, plus simples d’utilisation et accessibles en open source : Aerial Bold Building, Aerial Bold Suburbia, et Aerial Bold Provence : http://type.aerial-bold.com/fonts/

 

Une typo miroir critique :

Birth Defect est une typographie inspirée de l’ADN, conçue par le studio Lennarts & De Bruijn pour illustrer un article sur la terminologie des malformations à la naissance. Le résultat, illisible, reflète le problème soulevé par le texte : les problématiques liées au langage, au texte et à la traduction dans le monde biomédical :

https://lennartsendebruijn.com/Birth-Defects-Typographic-Illustration

 

 

A l’instar de Mallarmé à qui l’on doit cette belle citation « L’art n’est pas à tout le monde, mais à qui veut », Tania Mouraud est une artiste engagée qui nous invite à cheminer dans les villes et dans les mots, à prendre le temps de la lecture, à surmonter (ou pas) l’obstacle de l’illisibilité.

Dream, 2014 ©Tania Mouraud

 

Certains chorégraphes aussi s’emparent aussi de l’outil-mot, comme le chorégraphe Xavier Lot. Avec la photographe Emmanuelle Staüble, il est allé à la rencontre des habitant·e·s d’un quartier, d’une rue pour leur proposer de formuler une revendication, un message… un slogan, inscrit à même la peau, sur les bras, les jambes, le torse ou le dos, laissant le corps devenir un espace de libre expression : Je suis slogan : http://ulaldto.com/spectacle/je-suis-slogan/

#PorteVoix

 

©Xavier Lot/Emmanuelle Staüble, Je suis slogan

 

Bruno Munari, artiste italien inclassable, aurait pu participer au programme concocté par Malte Martin et Lucille Bataille, tant ses recherches, à quelques décennies d’intervalles, croisent les mêmes préoccupations. Ses « Livres illisibles » destinés aux enfants, ses créations qu’il nomme « machines inutiles » (elles ne sont pas considérées comme des biens de consommation)… Dans cet article du site indexgrafik, une illustration présente notamment le livre-masques de Bruno Munari « Guardiamoci negli occhi – Look Into my Eyes ». http://indexgrafik.fr/bruno-munari/

 

En parlant de masques, connaissez-vous cette magnifique série de photographies de Patrick Tosani ? Cette œuvre énigmatique présente en fait la vue plongeante d’un pantalon amidonné qui a conservé l’empreinte d’un corps : « une sorte de tête dont la ceinture serait le contour, l’entrejambe, le nez et les deux jambes, les yeux ».

https://www.patricktosani.com/projects/photographies/1998/masques

 

Mais revenons à nos outils et à notre desir de changer la ville…

 

Dans son livre « La Convivialité », le philosophe Yvan Illich plaide pour une société conviviale où l’outil moderne serait au service de la personne intégrée à la collectivité, pour renforcer son autonomie et accroître son champ d'action sur le réel. Publié en 1972, ce livre résonne puissamment avec la thématique de ce mois de septembre à la Maison des Métallos. 

Une autre belle initiative à découvrir : Hyperville, une « cabane d’édition » initiée par le Collectif Etc, l’atelier Formes Vives, l’association Sixième Continent et la revue Strabic, acteurs engagés dans des pratiques collectives en prise avec la ville, l’espace public et sa transformation. Le site editions.hyperville.fr est la boutique en ligne du site hyperville.fr, une plateforme créée en octobre 2015, dont la fonction première est de recenser et partager des documents qui nourrissent cette nouvelle approche de la ville.

http://editions.hyperville.fr/la-cabane-d-edition/

 

Avec une approche historique qui nous raconte l’évolution de l’espace public du XIXe siècle à nos jours,  cette conférence de Dominique Alba, directrice de l’Apur*, programmée à la Cité de l’architecture à Paris en février 2017, nous explique comment l’espace public se réinvente aujourd’hui pour accueillir plus d’usages et de services, pour être davantage lieu de rencontre, voire lieu d’action.

https://www.citedelarchitecture.fr/fr/video/lespace-public-et-les-nouveaux-usages-du-xxie-siecle

 

*L'Atelier parisien d'urbanisme (Apur) est une association créée en 1967 par le Conseil de Paris. C’est un outil au service des politiques publiques d'aménagement et de développement qui a pour mission de documenter, analyser et développer des stratégies prospectives concernant les évolutions urbaines et sociétales (https://www.apur.org/fr/atelier)